Force est de constater que l’industrie musicale n’investit plus sur la période d’émergence d’un projet artistique.
Avant d’être « signé » un artiste doit avoir déjà fait une bonne partie du chemin en auto-production.
De fait, la plupart des dispositifs d’accompagnement proposés par les lieux dédiés aux musiques dites actuelles, se sont transformés (malgré eux ?), au cours des dernières années , en une sorte de tamis.
Sélectionnant les projets potentiellement bankables pour l’industrie musicale (Majors et Indés), à travers différents « tremplins » et autres concours.
Peut-on imaginer que l’accompagnement artistique ait un autre objectif que la professionnalisation des groupes ?
Deux chiffres pour illustrer cette question : d’après une étude du RIF au cours de l’année 2011, près de 14 000 groupes (près de 55 000 musicien(ne)s) ont été accueillis en répétition en Ile de France et plus de 900 pour un travail scénique.
Combien de ces groupes se sont professionnalisés ?
Tout d’abord, qu’entendre par professionnalisation ?
Lorsque l’on parle de professionnalisation il est utile de préciser de quoi il s’agit.
Parle-t-on de statut social ou bien de compétence ? Les deux n’étant pas toujours liés ! 😉
Statut social : le projet génère une activité suffisamment lucrative pour que les musiciens en vivent. Au moins 51% de leurs revenus annuels proviennent de leur activité artistique.
Compétence : la pratique du groupe est professionnelle même si le modèle économique ne permet pas aux musiciens d’en vivre.
Autre point à préciser parlons nous du projet ou de ses membres ? Un groupe amateur peut être composé de musiciens professionnels (par leurs activités dans d’autres projets).
Je ferai donc ici, référence à la professionnalisation du projet dans le sens économique du terme. La professionnalisation de la pratique étant bien évidemment un des objectifs du coaching en développement artitique ! 😉
Le timing
La première raison pour laquelle il peut être souhaitable de dissocier l’accompagnement de tout objectif de professionnalisation est une question de timing.
En effet, le temps de l’artistique est rarement synchrone avec le temps du buisness. Il est souvent plus long et plus lent. L’artiste a besoin de temps pour faire ses choix artistiques, puis les assumer.
D’ailleurs, j’ai souvent observé un décalage entre les plans du manager, souvent un peu pressé, et le rythme de progression du groupe, plein de doutes et de questionnements.
L’efficacité
La seconde raison est une question d’efficacité de l’accompagnement.
L’accompagnement nourrit le questionnement. Ne pas avoir la pression d’un planning permet de prendre le temps de chercher, d’expérimenter.
De plus, il me semble primordial que le groupe puisse révéler son identité en toute sincérité. Et cette quête d’authenticité est plus facile s’il elle n’est pas « parasitée » par des considérations annexes du type : « qu’attendent les pros en ce moment ? ».
Avec tous les risques d’auto-formatage et d’auto-censure.
Les objectifs
Enfin, du point de vue des dispositifs, se contenter d’un objectif de professionnalisation me semble manquer d’ambition vu le nombre de groupes en demande d’accompagnement.
L’étude du RIF est riche d’enseignement sur ce point, et il ne s’agit là que des chiffres pour l’Ile de France et sur une seule année !
Si un dispositif devait se limiter à essayer de professionnaliser les groupes, il ne pourrait alors ne se consacrer qu’à une dizaine de projets (dans le meilleur des cas) par saison.
Et si ce dispositif devait être annuel, il devrait se contenter d’accompagner les groupes sur une saison, pour les remplacer par un « nouveau cru » la saison suivante. Ce qui laisse très peu de temps aux groupes pour réellement se développer.
Et quid de la sélection ?
N’y aurait-il pas risque que les groupes soient sélectionnés sur des critères autres qu’artistiques ?
Par exemple, que la sélection ne soit faite que parmi des groupes se trouvant juste à la frontière de la professionnalisation, déjà repérés, voire même déjà entourés par des professionnels du secteur et potentiellement « bankables », susceptibles de permettre au dispositif d’assurer sa propre notoriété si l’un de « ses » groupes rencontrait son public. Ce qui exclurait de fait les groupes artistiquement émergents mais souhaitant néanmoins bénéficier d’un accompagnement artistique.
Autre risque si le dispositif « professionnalisant » devait être lié une programmation : que la sélection des groupes soit influencée par les impératifs de diffusion. A savoir, coller à la couleur de la programmation du lieu et-ou répondre aux critères techniques et économiques (coût plateau) du lieu ou du festival diffuseur.
Sans parler de la question d’éthique : le dispositif accompagne le projet artistique ou bien son entourage professionnel ? 😉
Reste la question de l’évaluation des résultats d’un tel dispositif « professionnalisant ».
Comment évaluer ? A quel moment considérer qu’un groupe est devenu professionnel, notamment sur la scène « indé » ? Quand le groupe aura fait 43 dates déclarées au minimum syndical, permettant à ses membres d’ouvrir des droits pour une année en tant que demandeurs d’emploi ?
Conclusion
Pour toutes ces raisons il me semble souhaitable que l’accompagnement ne se focalise que sur l’épanouissement artistique du projets et de de ses membres.
Il sera temps ensuite, pour les groupes qui le souhaitent vraiment, et si chacun des membres est prêt à en « payer le prix » (précarité, vie de famille etc…), d’envisager un accompagnement de projet en vue d’espérer une professionnalisation.
Chaque artiste a son propre rythme, et ce rythme va varier d’une période à l’autre : nouveau répertoire, nouvelles rencontres artistiques, nouvelles envies, nouvelles directions …etc.
La notion de rythme est primordiale, et lorsqu’il y accompagnement, par définition, c’est l’accompagné qui donne le rythme.
Et lui seul !
De plus, combien de ces groupes l’industrie de la musique, majors et indés confondus, peut-elle « absorber » ? Même si aujourd’hui les carrières sont très éphémères et le turn-over des groupes exposés très rapide.
Il est communément admis par les professionnels du secteur que seul 1 projet sur 1000 trouve son public.
N’est-il pas de la responsabilité des dispositifs et structures d’accompagnement, tout au moins lorsque tout ou partie de leur financement est public, de répondre aux attentes des 999 autres projets ?
Et de laisser aux responsables de la communication des banques, marques d’alcools ou de téléphonie mobile le soin de faire du « repérage » en surfant sur le rêve de la professionnalisation ? 😉
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La question que tu soulèves est très intéressante, je suis vraiment content que tu en parles, ça a tellement de sens ! Alors que tant de structures d’accompagnements font rêver ou croire à des jeunes groupes qu’ils peuvent devenir « pro », je trouve parfois que c’est leur mentir et obstruer la réalité, c’est fâcheux. ( même si certains y arrivent, mais combien ? ) Et j’en ai été victime moi même. Aujourd’hui j’accompagne des jeunes groupes et je m’efforce à leur donner des clés, et le plus possible la réalité professionnelle, pour que ces questions là ne leur prennent pas trop d’énergie et qu’ils se concentrent sur ce qu’ils ont à dire, le plaisir de jouer, de créer, et de rêver ensemble. ça rend le truc plus léger. voilà, Merci pour tes billets !
C’est une des raison pour lesquelles j’ai voulu ce blog : partager mon expérience 😉