La grande majorité des écoles de musiques dites actuelles fonctionne sur un modèle né dans les années 80 et 90.
A l’époque il s’agissait de proposer une alternative à l’enseignement proposé par les conservatoires (nés, eux, à la fin du 18ème siècle), notamment en terme de répertoire.
Depuis, l’autodidaxie s’est généralisée, ou plutôt, l’apprentissage en autonomie à l’aide de cours en ligne. Et une grande partie de ce qui faisait hier le contenu des cours, notamment pour débutants, est aujourd’hui disponible sur internet et de très bons enseignants y contribuent par la mise en ligne de vidéos de qualité.
Il y a une dizaine d’années, je faisais remarquer à la directrice d’une importante école de musiques actuelles, qu’en vingt ans, beaucoup de choses avait changé à l’extérieur de l’école et très peu de choses à l’intérieur, notamment en terme de contenus pédagogiques.
Ma remarque lui avait déplu, persuadée qu’elle était que son école avait une proposition pédagogique suffisante.
Dix ans plus tard, la plupart des écoles, année après année, constatent une érosion de leur nombre d’élèves.
Pour endiguer cette érosion il me semble souhaitable de se poser une question :
En 2018, quel est l’intérêt pour un élève de s’inscrire dans une école de musique ?
1.La pratique collective créative
2. Un accompagnement de son projet artistique
Pourquoi? parce qu’il n’existe pas de réponses sur le net !
Etat des lieux
Aujourd’hui, les écoles proposent des cours d’instruments, de chant, de formation musicale et des ateliers de pratiques collectives dont le répertoire est composé de standarts, pour les écoles jazz, ou de covers, pour les écoles musiques actuelles.
Côté enseignement, la plupart des écoles appliquent une méthode pédagogique très « classique » :
- Des profs transmettent des savoirs à des élèves.
- L’acquisition de ces savoirs est évaluée par des examens, contrôles écrits et auditions.
- Avec en bout de parcours la possibilité d’obtention de divers certificats censés garantir le sérieux de l’enseignement.
Trente ans après leur apparition, ces écoles sont parfois devenues aussi conservatrices que les Conservatoires, même si cela semble être un comble lorsque l’on parle de jazz ou de musiques dites actuelles.
La pratique collective créative
La dimension créative devrait être l’objectif pédagogique principal d’un atelier de pratique collective, en travaillant notamment sur des compositions originales d’élèves.
Les ateliers de pratique collective, sont souvent sous-exploités, avec pour seul objectif de jouer un répertoire pour un concert de fin d’année.
Dans le meilleur des cas, un travail d’arrangement proposé par l’encadrant quand il ne se contente pas de faire rejouer les titres en note à note.
Quel intérêt de faire rejouer note à note le solo de Stairway to heaven ? (si, si, ça se fait encore en 2024 !)
Le projet artistique de l’élève
Rares sont aujourd’hui les élèves qui s’inscrivent en école de musique pour devenir musicien de studio.
Cette motivation pouvait être présente dans les années 80-90, et c’est peut-être la raison pour laquelle l’enseignement s’est focalisé sur l’aspect technique : lecture, déchiffrage, pratique instrumentale et travail de l’improvisation individuelle au détriment des projets artistiques des élèves.
Aujourd’hui, de par la démocratisation du matériel et des moyens de production, il n’est pas rare que les élèves aient déjà un projet artistique personnel, né en home studio avant même de s’inscrire en école de musique.
Quand auparavant on apprenait d’abord un instrument, pour ensuite jouer un répertoire de reprises avant de passer le cap de la composition et oser s’investir dans un projet artistique personnel.
Pour autant ces projets artistiques naissant se font souvent dans un isolement artistique, revers de la médaille de l’autonomisation en home-studio.
J’ai pu constater au cours des huit années passées à la tête du dispositif d’accompagnement de FGO-Barbara, qu’à partir du moment où les groupes avaient compris que nous ne toucherions pas à leur proposition artistique et que nous respecterions leurs choix et envies, ils étaient très demandeurs d’accompagnement et de coaching.
A l’origine le dispositif d’accompagnement de FGO-Barbara était une initiative de la Direction Jeunesse et Sports de la Ville de Paris pour répondre aux besoins de la pratique amateur.
Au bout de huit ans, le projet a été récupéré par la Direction des Affaires Culturelles et s’est limité à n’accompagner que des projets à potentiel de professionnalisation (sic). Avec toute la subjectivité que cela implique !
Et là est toute la question.
Si les structures d’enseignement se fixent pour principal objectif de former des professionnels, le nombre d’élèves continuera à diminuer.
Pour rappel, un très faible pourcentage d’élèves inscrits en Conservatoire atteint le troisième cycle et un projet de musiques actuelles sur mille se professionnalise (et pour combien de temps ?).
Quelques pistes de réflexion :
Les structures d’enseignement qui souhaiteront repenser leur programme pédagogique devront s’atteler à deux chantiers :
- Faire un état des lieux des ressources internes au sein de leur équipe pédagogique :
- accompagner les réticences des enseignants qui seront amenés à faire évoluer leur pratique pédagogique
- former et-ou recruter des accompagnants, ce rôle demandant d’autre compétences que celles d’enseignant.
- Modifier les contenus des programmes et y intégrer cet accompagnement individualisé du projet artistique de l’élève en abordant quelques problématiques, par exemple :
- Le travail sur l’écriture et de la composition ? Les doutes liés à la création ? la question de l’inspiration ?
- Les questionnements sur le sens artistique ? la place et le « rôle » de l’artiste dans la Cité ?
- La relation à l’autre : la rencontre humaine et artistique ? le rapport au jugement et à la critique ?
Conclusion
Imaginer que les attentes des élèves d’aujourd’hui puissent être les mêmes qu’il y a vingt-cinq ans ou même dix ans me sembler être une erreur.
Sur les quelques 1 500 musicien(ne)s accompagné(e)s en huit ans à FGO-Barbara, lamajorité n’était pas passée par les écoles de musique.
C’est en s’appuyant sur ce constat que j’ai animé au sein de l’école Atla (alors gestionnaire de FGO-Barbara) un stage de formation destiné à de futur(e)s enseignant(e)s dans le champ des musiques dites actuelles.
Stage dont l’objectif était de travailler sur l’accompagnement tel que nous le pratiquions à FGO, à savoir une démarche de pédagogie non-directive s’appuyant sur le projet artistique pour transmettre savoirs et savoirs-faire.
Il me semble évident que l’accompagnement artistique est LA posture pédagogique la plus pertinente pour aujourd’hui et demain.
Notamment, si elle est portée par des musiciens qui sont ou ont été porteurs de leur propre projet artistique et, bien sûr, animés par la passion du partage et de la transmission.
Et les équipes pédagogiques regorgent d’enseignant(e)s-musicien(ne)s-artistes prêt(e)s à amorcer ce changement.
A suivre ….
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